Extrait
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Extrait de l’avant-propos :
La Centrale, quelque part au bord du vide.
La Centrale fait place à des répliques sèches, taillées à la serpe. Les pères mous, travailleurs sur un chantier impossible et lointain, ont détrôné les branches crochues et les vieilles racines. L’onirisme cède la place à une réalité blafarde. Crue. Electrique. Il fait froid et vide. Virginie Barreteau nous entraîne vers la misère grise et l’angoisse. Les enfants ont grandi, semble-t-il. Ces enfants-là ne vivent pas au pays des miracles. Ils ont la vie bien dure. Une vie rugueuse. L’ennui est là partout. La morosité. L’inquiétude. La mère est grosse. Analphabète. Elle s’appuie sur son tassement. Comme clans La Geste, les personnages semblent vouloir se protéger les uns les autres. Maladroitement. Ils s’attendent les uns les autres. Se lâchent. S’espèrent. S’attendent encore de longues heures durant. Se présage. L’infiniment fragile. Aimants. Glauques, les personnages de Virginie Barreteau ? Leur vie l’est certainement. Mais eux vont, viennent, impuissants. Dans ce monde qui semble fait pour les autres. On voudrait leur tendre la main. Passer la main sur leurs grands yeux. Leur donner un peu plus d’électricité, de lettres, d’argent. On voudrait bien être avec eux (mais pas pour trop longtemps). La ville de La Centrale - une ville sans nom - se situe quelque part dans la grisaille. Quelque part proche des cendres et puis du désespoir. Il n’y a pas grand chose, dans cette ville-là. Une centrale désaffectée. Un pont neuf un peu plus loin. Encore plus loin, un autre pont en chantier, tout au bout du train. Une ville où il n’y a pas d’histoires dans les journaux. Dans les journaux de cette ville-là, il n’y a que des malheurs. Alors ce n’est même pas la peine. La mécanique de La Centrale est brutale. Implacable. Ici, les jours meilleurs sont injoignables comme le patron. La pièce est étouffante. Sans problème. Ici, les enfants ne renaîtront pas de leurs cendres et un avenir meilleur semble bien compromis. Les enfants de La Centrale ne jouent pas. Tout est pesant. Ils ont les phrases courtes. Tranchées par le choc. Rien ne fonctionne plus, dans cette ville. Ni les centrales, ni l’électricité, ni les rapports humains. Tout semble coupé. Même la parole. Brusque. Lapidaire. Affûtée. Les secrétaires ne transmettent pas. Les patrons sont très occupés. Les ouvriers ont le rire gras. Ca suinte la peur, le dégoût, la fatigue. Il faudrait qu’un feu prenne pour changer tout ça. Un brasier. Un grand incendie. Peut-être ça changerait, un grand incendie ? Mais rien ne change. De l’enfance, il ne reste plus rien. Les enfants n’ont plus de mots d’enfants. N’ont plus de gestes d’enfants. Tout résiste. Tout semble aller contre les héros. Pauvres héros. Les voisins sont des étrangers. L’aide, semble-t-il, ne peut venir de nulle part. De toute façon, on n’ose pas demander de l’aide, dans cette famille-là. On n’ose pas déranger. Il est toujours trop tard, semble-t-il, pour demander de l’aide. On est gêné. On ne sait même pas où se trouve la voisine. Et puis, elle est ennuyeuse de toute façon. On remet les demandes au lendemain. Même les tableaux électriques sont hostiles. Ils font saigner.
Biographie de l’auteur
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